Il revient à l’Union européenne d’élaborer la politique agricole commune (PAC) tous les 7 ans. Après la période 2014-2020, les institutions européennes devaient donc adopter la réforme de la PAC pour les exercices 2021-2027 avant la fin de l’année 2020. Or, en raison de la crise sanitaire, mais aussi des vifs débats que suscite l’avenir de la PAC, ce délai n’a pas été tenu. Où en est l’élaboration de la nouvelle PAC et quels en sont les enjeux ?
La réforme de la PAC : un processus complexe
Les « lois » de l’Union européenne (UE) sont élaborées par trois institutions
- la Commission européenne ;
- le Conseil de l’Union européenne qui regroupe les ministres concernés par le texte (pour la PAC, il s’agit des ministres de l’agriculture) ;
- le Parlement européen dont les représentants sont élus par chaque État membre.
La Commission propose les textes de loi qui sont ensuite négociés entre le Conseil de l’UE et le Parlement. Ces négociations peuvent durer des mois. Toutefois, si au bout de trois allers-retours le texte n’est toujours pas adopté, il est rejeté.

Où en est le projet de PAC pour la période 2023-2029 ?
Une étape importante a été franchie en juillet 2020. En effet, les 27 États membres sont parvenus à un accord concernant le budget global consacré à la PAC : 386,7 Md€. Bien qu’en diminution, la PAC reste le premier poste du budget européen avec près de 30 % des dépenses.
Première bénéficiaire de la PAC, l’agriculture française recevra 62,4 Md€, soit 16 % du budget.
Comme nous l’avons décrit dans une autre fiche, les aides à l’agriculture sont réparties en deux « piliers ».
- Le premier pilier, qui représente plus de 75 % du budget de la PAC, comprend des aides directes aux agriculteurs. S’y ajoutent des mesures de soutien au marché. La plus grosse part de ces aides est distribuée en fonction de la surface des fermes : plus la ferme d’un agriculteur est grande, plus il touche d’aides.
- Le second pilier, qui représente 25 % environ du budget agricole, est consacré au développement rural.
En octobre 2020, les ministres européens de l’agriculture et le Parlement ont validé les grandes orientations de la PAC. Le projet fait maintenant l’objet de négociations entre la Commission européenne, le Parlement et le Conseil. Cette procédure doit aboutir à un texte définitif avant l’été 2021 pour une mise en œuvre au 1er janvier 2023.
L’avenir de la PAC : vers une nouvelle philosophie ?
L’avenir de la PAC : vers une nouvelle philosophie ?
En 2018, la Commission européenne a rendu publiques ses propositions pour la période 2021-2027.
Elle a fixé 9 objectifs spécifiques à la PAC :
- Assurer un revenu équitable aux agriculteurs. Cet objectif se justifie d’autant plus que les revenus agricoles moyens sont faibles. En 2017, les agriculteurs européens ne gagnaient en moyenne qu’un peu moins de la moitié des revenus des autres travailleurs. Les données moyennes cachent toutefois de fortes inégalités. Ainsi, le mode de calcul des aides de la PAC avantage nettement les plus grosses exploitations.
- Agir contre le changement climatique et s’y adapter. L’agriculture serait responsable d’environ un quart des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Les activités agricoles génèrent notamment du méthane (élevage) et du protoxyde d’azote (engrais).
- Soutenir le renouvellement des générations d’agriculteurs. En France, d’ici 10 ans, la moitié des agriculteurs seront partis à la retraite. À ce titre, la Commission soutient l’idée d’un système d’aide plus ciblé sur les nouveaux exploitants.
- Accroître la compétitivité.
- Protéger l’environnement. Il s’agit ici de favoriser le développement durable et la gestion efficace des ressources naturelles telles que l’eau, les sols et l’air.
- Dynamiser les zones rurales. La Commission souligne le rôle de la PAC dans l’atténuation du chômage et de la pauvreté dans les zones rurales.
- Rééquilibrer les pouvoirs dans la chaîne d’approvisionnement. Les agriculteurs sont souvent les parents pauvres des négociations commerciales. La Commission plaide pour davantage de coopération entre les agriculteurs, la transparence du marché et la mise en place de mécanismes efficaces contre les pratiques commerciales déloyales. La France s’est d’ailleurs attaquée au problème à travers la loi Egalim de 2018.
- Préserver les paysages et la biodiversité. Ce point concerne par exemple l’utilisation des pesticides ou la sauvegarde du bocage, véritable réservoir de la biodiversité.
- Garantir la qualité des denrées alimentaires et la santé.
Les mesures environnementales préconisées vont aussi dans le sens du « pacte vert pour l’Europe » de 2019. Ce pacte vise la neutralité carbone des pays de l’Union à l’horizon 2050.
Le projet de réforme prévoit de nouvelles modalités de mise en œuvre
Il s’agit de l’obligation qui sera faite aux États membres de mettre en place un Plan stratégique national (PSN). Ce plan définira les modalités de mise en œuvre de la PAC à l’échelle de chaque État. Le PSN PAC de chaque État membre fera l’objet de recommandations de la Commission et devra être approuvé par elle.
Un autre changement majeur consiste en la mise en place d’un nouveau régime d’aides, les « éco-régimes » ou « eco-schemes ». Pour être éligibles à ces primes, les agriculteurs devront adhérer à des programmes répondant à des impératifs écologiques.
La nouvelle PAC : la levée des boucliers
Les éco-régimes, au cœur des débats
Les éco-régimes concernent le premier pilier de la PAC (aides directes et mesures de soutien au marché). Ces aides étaient jusqu’à maintenant essentiellement attribuées en fonction de la taille des exploitations. Avec les éco-régimes, il s’agit de réserver une partie du premier pilier à la mise en place de mesures écologiques. Par rapport au système précédent, ce dispositif est donc beaucoup plus contraignant pour les agriculteurs.
La part à réserver aux éco-régimes dans le premier pilier donne lieu à de vifs débats actuellement. Ainsi, le Parlement européen plaide pour un taux de 30 %. Le Conseil, quant à lui, souhaite limiter les éco-régimes à hauteur de 20 %.
Quel que soit le niveau retenu, c’est donc une part significative des aides qui va être impactée par la réforme : les éco-régimes vont ponctionner entre 20 et 30 % du pilier 1, c’est-à-dire entre 15 et 22,5 % du total de la PAC.
Et la France dans la PAC ?
S’agissant de la France, l’enjeu est de taille. La PAC représente 9 milliards d’euros par an, à répartir entre les 450 000 agriculteurs que compte le pays toutes filières confondues. Les aides de la PAC sont vitales pour nombre d’agriculteurs : elles s’élèvent à près de la moitié de leur revenu en moyenne.
Ces chiffres ne doivent toutefois pas masquer de grandes disparités. En 2015 par exemple, 80 % des aides du premier pilier ont été touchées par seulement 20 % des bénéficiaires. Certains secteurs sont très peu soutenus (comme le secteur viticole), contrairement à d’autres (production laitière, grande culture céréalière, viande bovine).
Depuis le début 2021, le plan français donne lieu à des négociations intenses entre le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, les syndicats agricoles et les défenseurs de l’environnement. Le 2e pilier (le développement rural) va, quant à lui, être négocié au niveau régional.
La position du ministère français est de définir trois voies d’accès aux primes :
- la certification des exploitations, notamment en agriculture biologique (label AB) ou d’autres certifications environnementales encore à définir ;
- l’amélioration des techniques de production, c’est-à-dire favoriser les pratiques de gestion agroécologique des surfaces agricoles. Il s’agirait par exemple du maintien des prairies permanentes non labourées ou de la diversification des cultures ;
- la mise en œuvre d’actions en faveur de la biodiversité. Il s’agit de facteurs « non-productifs », comme la préservation des haies ou les jachères mellifères par exemple.
Des propositions qui font l’objet de nombreuses critiques
Pour les organisations environnementales, l’actuel projet n’est pas à la hauteur des enjeux de la transition écologique. Elles souhaiteraient par exemple qu’une part importante du premier pilier soit consacrée aux éco-régimes (de 30 à 50 %).
À l’inverse, le principal syndicat agricole, la fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA), craint que le projet entraîne l’exclusion d’un nombre trop important d’exploitations. « Selon les premières projections, dans l’état actuel des choses, 70 à 80 % des agriculteurs n’auraient pas la possibilité de bénéficier de cet éco-régime », a estimé lors d’un point presse Damien Greffin, agriculteur céréalier de l’Essonne et président de la FNSEA Grand bassin parisien.
Le ministère a, quant à lui, annoncé que les premiers arbitrages seraient rendus courant avril 2021. Le plan national devra être finalisé à l’automne pour une approbation par la Commission européenne avant le 1er janvier 2022. Les mois qui viennent s’annoncent donc décisifs pour l’avenir de la PAC.
Auteur : Mickaël Le Bour
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Sources
L’avenir de la politique agricole commune, fiches de la Commission européenne
Un pacte vert pour l’Europe, Commission européenne
Le Monde, 21 octobre 2020, négociations tendues autour de la nouvelle PAC européenne
La Croix, 23/03/2021,Réforme de la PAC, le « document de travail » qui agite le monde agricole
Toute l’europe – Le processus de décision européen en 3 minutes
Les échos – Le futur de la politique agricole commune en sept questions
Vie publique – Quelle pac après 2020 ?
Terre-net – Pourquoi la légitimité des aides directes est-elle souvent remise en cause ?
Le monde – Les agriculteurs français restent très dépendants des aides de la politique agricole commune