Les néonicotinoïdes : sauver l’économie aux dépens de l’écologie

Image par Ajay kumar Singh de Pixabay

Le 4 novembre 2020, le journal Le Monde, titrait ceci : « La réintroduction temporaire des néonicotinoïdes en France définitivement autorisée ».

Une fois passé le sentiment premier d’étonnement (pour les écologistes), ou de satisfaction (pour les autres), le paradoxe temporel qui semble accompagner la nouvelle laisse un goût étrange à la lecture d’un tel titre.

Les néonicotinoïdes sont-ils réintroduits temporairement, ou définitivement ?

La formule rend perplexe, et tout le bruit qui en a accompagné l’annonce laisse penser qu’il y a là un débat houleux. Mais surtout, cette formule et ce bruit démontrent l’immense difficulté de traiter un tel sujet.

Les médias s’en donnent à cœur joie : certains imaginent la catastrophe économique qu’aurait représenté le respect de la loi de 2016 (interdisant ces insecticides), d’autres soulignent du bout des lèvres que, tout de même, ce sont plusieurs écosystèmes qui sont menacés par eux. D’autres, enfin, rappellent, sans la moindre ironie, que grâce au recours aux pesticides dont font partie les néonicotinoïdes, notre société n’a plus connu famine depuis longtemps.

On le voit, rien n’est simple lorsqu’il est sujet des néonicotinoïdes. C’est pourquoi nous tenions à vous présenter un dossier complet sur la question, et en introduction de celui-ci, cet article, qui au travers du débat qui a entouré la décision des députés le 4 novembre 2020, tentera de retracer les lignes complexes du débat sur le recours aux néonicotinoïdes.

Retour sur la loi de 2016 sur les néonicotinoïdes

Pour comprendre l’ampleur de l’événement de la réintroduction des néonicotinoïdes, il convient de se replonger 4 ans plus tôt, le 20 juillet 2016.

Ce jour est celui où l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Le but de cette loi était d’interdire l’utilisation des néonicotinoïdes, un insecticide reconnu comme ayant de nombreuses et graves conséquences.

Plus précisément, le texte visait l’interdiction des molécules néonicotinoïdes dès le 1er septembre 2018, pour l’ensemble des cultures agricoles, et ce, quel que soit leur usage : pulvérisation, traitement, ou enrobage des semences.

D’ailleurs à l’origine, il s’agissait d’un ensemble de 174 textes de loi ne concernant pas que les seuls néonicotinoïdes, mais un ensemble de pratiques supposément anti-écologiques, telles que la production de l’huile de palme, ou le chalutage profond. Le principe, emblématique, visait à protéger et valoriser la biodiversité, ainsi qu’à compenser l’impact négatif de l’activité humaine.

Notons ici que la plupart de ces 174 textes n’ont pas été validés, ou que leur étude a été repoussée à plus tard. Une victoire en demi-teinte, donc, pour le camp des écologistes, satisfaits néanmoins de la part encadrant l’usage des néonicotinoïdes.

Pourquoi les néonicotinoïdes posent-ils problème aux écologistes ?

Nous reviendrons sur ce point plus en détail dans un article prochain, mais comme nous désirons ici vous présenter les grandes lignes du débat, il est impossible de faire l’impasse sur la raison fondamentale du rejet du recours aux néonicotinoïdes par nombre d’écologistes et de chercheurs.

Fondamentalement, les néonicotinoïdes sont une forme d’insecticide dont les molécules, qui sont souvent des dérivés soufrés ou chlorés, agissent sur le système nerveux central des insectes nuisibles, en ciblant les récepteurs nicotiniques.

Les néonicotinoïdes sont le type d’insecticide le plus utilisé dans le monde, sans doute en raison de leur efficacité.

Le problème est peut-être justement leur efficacité : les semences enrobées d’insecticide peuvent être consommées par d’autres animaux, ce qui les tue par empoisonnement. Ils auraient en outre une action dévastatrice sur la faune des insectes vivant sous terre, avant de parvenir jusqu’aux nappes phréatiques et de polluer les eaux.

Il est par ailleurs très difficile de cibler exactement l’action des néonicotinoïdes : il suffit pour s’en convaincre de lire des études démontrant que des champs de fleurs n’ayant pas été traitées étaient eux aussi atteints par l’insecticide. On comprendra facilement ici le lien à faire entre fleurs pollinisatrices, et disparition d’insectes, notamment d’abeilles.

Enfin, les néonicotinoïdes jouiraient d’une faible biodégradabilité, d’un effet toxique persistant, et causeraient des troubles sur le métabolisme humain.

Une situation pouvant provoquer une inquiétude légitime, donc, lorsque l’on sait que les néonicotinoïdes sont présents dans plus de 10% des aliments végétaux français.

Pourquoi a-t-on réautorisé l’utilisation des néonicotinoïdes ?

Comme nous l’écrivions en début d’article, les néonicotinoïdes viennent d’être, dans une certaine mesure, réautorisés en France. Il s’agit là d’une dérogation limitée, dans le temps et dans son application.

Cette mesure correspond en réalité à une tentative de préservation du secteur de la production de betteraves sucrières, durement touché par une épidémie de jaunisse imputée à un puceron vert, le Myzus persicae. Pour la seule année 2020, la rapporteure du texte au Sénat, Mme Sophie Primas estime que les pertes ont atteint des niveaux de 13 à 20 % sur le territoire national, avec certains cas extrêmes où le niveau de pertes pouvait atteindre les 50 %.

Les producteurs de betteraves sucrières ont donc à ce titre bénéficié d’une autorisation exceptionnelle pour l’utilisation de néonicotinoïdes, valable jusqu’au 1er juillet 2023.

Plusieurs questions s’imposent dès lors : n’y avait-il pas d’autres façons de sauver ce secteur en crise ? Quelles seront exactement les répercussions de cette ouverture ? Et cette utilisation de la dérogation prévue par la loi de 2016, ne va-t-elle pas faire jurisprudence, désormais, chaque fois qu’un secteur agricole se trouvera touché ?

Pour finir, nous pourrions résumer toutes ces questions en une seule : à quoi bon légiférer sur un cap à tenir, supposé répondre à l’urgence climatique, si c’est pour oublier tous nos engagements au premier coup dur ?

Auteur : Ludovic Sire

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Sources

Elles sont toutes disponibles directement dans le texte

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